Avec vue sur l'Arno - E.M. Forster
« Lucy aimait Cecil ; George la rendait nerveuse ; le lecteur sera-t-il assez bon pour l’inviter à intervertir les termes ? »
Lors d’un séjour en Italie, Lucy rencontre un jeune homme qui la trouble, et qui passe pour ne pas être tout à fait « convenable ». (Etre ou ne pas être fréquentable, telle semble être la question dans cette société anglaise très rigide du tout début du XXe siècle). Lucy s’empresse de se fiancer avec un autre jeune homme qui ne la trouble pas du tout mais la rassure (puisqu’il ne la rend pas nerveuse), d’autant qu’il est, lui, tout à fait fréquentable. Voilà Lucy bien soulagée et bien casée : la vie est tellement plus facile quand tout est bien rangé dans sa petite boite dont rien ne déborde.
« La vie – dans la mesure où elle cherchait à s’en faire une idée, lui apparaissait comme un cercle de gens riches, charmants, ayant les mêmes intérêts et les mêmes ennemis. C’est à l’intérieur de ce cercle qu’on jugeait, qu’on se mariait, qu’on mourrait. A l’extérieur, la pauvreté et la vulgarité donnaient un éternel assaut. »
Mais par un heureux (ou pas ?) concours de circonstances, comme seul le destin et les bons romanciers savent en inventer, George Emerson devient le voisin de Lucy…
Dans ce roman malicieux, E. M. Forster réécrit une version plus moderne de Raison et sentiments (Cecil est la raison, George est le sentiment), qui s’écrit entre les collines fleuries de Toscane et les verdoyantes vallées de la campagne anglaise. L’Italie produit chez les jeunes gens ce que l’Angleterre victorienne réprouve : l’irruption du désir, le trouble des sens, l’enivrement du sentiment. Avec un humour feutré et une plume elliptique qui joue constamment sur les non-dits, l’auteur déshabille (dans tous les sens du terme) une société corsetée dans sa pudibonderie, dans ses préjugés et dans ses certitudes. George, spontané et rebelle comme le Puck de Shakespeare, est l’homme du XXe siècle qui émerge d’une société encore figée dans le XIXe. A travers lui, Forster exprime une soif de liberté : libération des corps, libération des femmes, libération sociale, et se révèle étonnamment moderne.
Un roman délicieux comme une glace italienne par une belle journée d'été.
Mon avis de 2007 - L'avis de Cléanthe - Lilly - Karine
(Re)Lu dans le cadre du Mois anglais.
Traduit de l’anglais par Charles Mauron.
10/18, 1995 (1e éd. 1908). – 288 p.